Association Française
des Gestionnaires de Risques Sanitaires

Synthèse du 4 ème congrès de l'afgris (Octobre 2005)

Le retour d'expérience : la partie déterminante de la gestion des risques

Lors de son 4 ème congrès, l'association française des gestionnaires de risque s'est penchée sur la définition du retour d'expérience (REX dans le jargon des professionnels) à la lumière des expérimentations aussi bien dans la santé que dans l'armée ou à l'EDF. Mais ce sont principalement les applications du REX à l'hôpital qui ont été présentées. En effet c'est en analysant les erreurs passées qu'on peut accroître le niveau de sécurité. L'industrie l'a compris depuis longtemps.

Le REX : de la définition aux enjeux

Alain Desroches, ingénieur expert en gestion des risques au CNES et professeur à l'Ecole Centrale Paris, rappelle que le retour d'expérience consiste à structurer avec rigueur l'information sur des événements passés afin d'en tirer des recommandations applicables aux nouveaux projets. Il s'agit donc de la partie « déterministe » de la gestion des risques dans la mesure où on attribue un poids aux causes en fonction de leur probabilité et qu'on se projette dans le futur.

Les secteurs militaire et industriel sont rompus à ces techniques. Le service de santé des armées a créé une chaîne « hygiène et sécurité en opérations » (HSO) afin de minimiser les risques sanitaires. En fin de mission, le retour d'expérience fait partie de la procédure minimale, explique Patrick Godart. Certains cas ont été étudiés avec particulièrement d'attention afin d'assurer les meilleures conditions aux 15000 hommes déployés dans les opérations extérieures. Au Kosovo par exemple les soldats encourraient plusieurs risques : exposition au plomb, à l'uranium enrichi, fièvre de Crimée-Congo véhiculée par le bétail local...

Dans le parc EDF où la publication des incidents les plus exemplaires est obligatoire, il existe trois utilisations du REX présentées par Alain Villemeur :

•  l'étude des événements très graves : c'est le syndrome Challenger qui consiste à déceler toutes les sources d'erreurs possibles afin de ne rien oublier.

•  des évaluations en vue d'optimiser l'entretien du matériel ;

•  la détection des presque accidents ou événements précurseurs: c'est le syndrome Condorde où il faut estimer la probabilité de survenue d'un événement grave sachant que l'incident s'est produit.

Mais, de l'aveu de l'expert, ces comptes rendus d'événements significatifs cachent l'essentiel, à savoir les facteurs humains.

Le REX face aux facteurs humains : de l'analyse aux actions

Danièle Salomon (CSO et Risques et Intelligence) apporte son regard de sociologue. Les difficultés sont parfois difficiles à surmonter : c'est une démarche non obligatoire qui suppose une culture de transparence antagoniste avec la tradition de secret hospitalière et qui nécessite une véritable implication aussi bien des équipes soignantes que des instances dirigeantes.

Jean Marty (Hôpital Henri Mondor et président de la SFAR ) a utilisé le modèle ALARM (association of litigation and risk management) en anesthésie réanimation mais considère qu'il faut le simplifier. Après la phase d'uniformisation des pratiques induite par le décret de 1994 qui a rendu obligatoire les salles de réveil et réduit de 10% les décès liés à l'anesthésie, cette spécialité est arrivée à une étape nécessaire de décentralisation de la gestion des risques : chaque service doit réduire les risques subsistants, souvent dus au comportement humain.

D. Abitboul a présenté une démarche de gestion des risques liés aux Accidents Exposants au Sang (AES) à l'hôpital de Bichat-Claude Bernard. Suite à la mise en place d'une surveillance systématique en 1990 avec analyse des données, formations du personnel et réseau de médecins référents après AES, les accidents percutanés ont diminué de 50% entre 1994 et 2001. Mais un accident sur trois reste évitable, ce qui incite au maintien de la vigilance.

Patrice Blondel a suivi depuis 1996 les infections nosocomiales à l'Hôpital Delafontaine de Saint-Denis sous l'angle de leur criticité c'est-à-dire de la fréquence pondérée par la gravité. afin de déterminer les types d'infection à combattre en priorité. On s'attaque souvent aux infections urinaires qui prédominent. Mais les infections pulmonaires suscitent tout autant des évolutions médicales défavorables. De même, les infections du cathéter et sur site opératoire sont à surveiller de près en raison du coût financier pour l'hôpital. Le président de l'afgris en conclut qu'il convient de mettre en place un plan de réduction des infections nosocomiales, au-delà des demandes des CLIN (comité de lutte contre les infections nosocomiales) en fonction des priorités que l'on se fixe.

Le REX à l'hôpital : l'imposer ou l'implanter ?

Sur le REX à l'hôpital, les techniques ne manquent pas. Lors des ateliers, MJ Darmon et JF Quaranta ont détaillé la méthode ALARM qui permet de lister les différents facteurs contributifs (déclenchants ou latents). Marinette Badran a abordé un sujet tabou : l'absentéisme, qui décuple les risques en raison de la nécessité de travailler en sous-effectif et à la présence de vacataires. Claire Gatecel a présenté à partir de l'exemple du service de chirurgie ambulatoire du centre hospitalier de Béziers une analyse préliminaire des risques.

On dispose même, grâce notamment aux études ENEIS, de statistiques sur les événements indésirables graves (EIG) liés aux soins. Au nom du Comité de coordination de l'évaluation clinique et de la qualité en Aquitaine (CCECQA), Philippe Michel est venu présenter la méthodologie et les principaux résultats.

Un événement clinique ou paraclinique lié aux soins et non désiré pour le patient est considéré comme grave c'est-à-dire :

•  associé à un décès ou à une menace vitale

•  nécessitant une hospitalisation ou la prolongation de l'hospitalisation

•  provoquant un handicap ou une incapacité à la sortie de l'unité

l'EIG est qualifié d'évitable quand il ne serait pas survenu si les soins avaient été conformes à la prise en charge considérée comme satisfaisante. Pendant le suivi de 7 jours, 66% des unités de chirurgie et 58% des unités de médecine ont connu au moins un EIG. L'étude chiffre à 120000 à 190000 le nombre des EIG évitables apparus pendant l'hospitalisation et à 70000 à 1100000 les hospitalisations qui n'auraient pas dû se produire suite à des soins de ville ou à une réadmission.

Ce qui fait également la richesse de l'étude ENEIS, c'est une analyse approfondie des causes sur 45 événements représentatifs. Cette technique de retour d'expérience est très appréciée pour son caractère pédagogique.

C'est également une étude de cas (sur une plastie abdominale) qu'a présentée Marie-Laure Pibarot de la Direction de la politique médicale de l'AP-HP. Qu'il s'agisse de la méthode des causes racines ou de la méthode ALARM, plusieurs outils sont à disposition pour faciliter l'enquête : questionnaires, check-lists, outils de hiérarchisation des causes. Mais la question est de savoir comment les intégrer en routine dans les organisations hospitalières.

L'hémovigilance qui implique des procédures de surveillance organisées de la collecte du sang au suivi des receveurs est un cas d'école. Jean-Jacques Cabaud de la Drass Ile-de -France atteste qu'en dix ans, le système d'hémovigilance est passé du constat déclaratif au préventif. Il y a en moyenne 25 à 30 accidents ABO signalés chaque année en France, principalement par erreur d'attribution. Sortant de sa réserve, le coordinateur régional considère qu'il est temps qu'on contrôle l'identification des patients.

Alors que conclure sur l'utilisation du retour d'expérience à l'hôpital ? Intégrer le REX par des recommandations et pratiques de prévention, c'est ne pas rester en vase clos, plaide Annick Macrez de l'hôpital Bichat-Claude Bernard. Le REX repose sur un système de signalement, l'identification des risques professionnels ainsi qu'un programme de gestion des risques (par exemple en réfléchissant à l'avance à l'application d'un plan Blanc). L'objectif est de pouvoir utiliser les résultats aussi bien positifs que négatifs des expériences passées.

Si la définition de protocoles a l'avantage de diminuer la variabilité des pratiques, les professionnels se sont accordés, lors du débat, sur la nécessité de laisser une marge d'autonomie au soignant afin de réagir aux situations imprévues (quand le patient sort des conditions du protocole par exemple).

REX et Haute Autorité de Santé

Dès la première version en 1999, des références sur la gestion des risques ont été introduites dans le manuel d'accréditation des hôpitaux, rappelle Vincent Mounic de la Haute Autorité de Santé. Mais c'est surtout dans la deuxième version publiée en septembre 2004 que la gestion des risques devient véritablement un axe de développement. La veille sanitaire au sens large peut d'ailleurs se définir comme l'ensemble de la gestion des risques et de la coordination des vigilances. L'accréditation apporte un cadre pragmatique pour structurer la démarche.

Yves Auroy de l'Institut de médecine aéronautique de Percy, revient sur le type de retour d'expérience. Faut-il privilégier l'analyse obligatoire des accidents très graves, le suivi obligatoire de quelques indicateurs sentinelles, les déclarations mineures (le signalement des incidents est le point central des démarches médicales actuelles) ou l'audit par des observateurs extérieurs ?

La table ronde sur le Rex dans les établissements de santé modérée par Monique Cavalier ( CHU Montpellier ) a soulevé la question de l'évaluation des pratiques professionnelles, aussi bien celle des médecins que des gestionnaires de risques. A quand un vrai statut pour ces derniers ? a réclamé la salle. Didier Vancostenoble (CH Dieppe) a souligné qu'avant d'être compétent, le gestionnaire de risques doit avoir la confiance du personnel. Deux grosses erreurs sont à éviter : demander au gestionnaire de risque de faire de la qualité et arrêter le retour d'expérience faute de moyens. Jean-François Quaranta a cité l'approche systémique de la politique de gestion des risques adoptée par le CHU Nice. Elle repose sur un principe de continuité et une redéfinition générale des organisations. Au sein d'une structure plus petite comme la clinique St Sauveur à Mulhouse, Christian Caoduro explique que la mise en place de la gestion des risques n'a pas débouché sur une nouvelle structure mais sur une série d'actions et d'indicateurs : gestion documentaire, recueil et traitement des événements indésirables, définition des événements sentinelles, organisation de la gestion de crise...

Conclusion

Le retour d'expérience qui suppose un grand travail d'analyse des incidents pour remonter aux causes et comporte une part probabiliste, c'est aussi une partie déterminante de la gestion des risques. L'afgris avait mis en exergue du congrès 2005 la phrase d'Elie Wiesel : « Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s'expose à ce qu'elle recommence »

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